"Histoire de sons ..." Interview avec Steve Porcaro. Aout 1995 pour la sortie de l'album HIStory.
Parler avec le plus proche collaborateur « sonore » de Michael Jackson d'un album qui va certainement devenir celui de tous les records, voilà un rêve devenu réalité ! En effet, depuis 1979, Steve Porcaro est l'homme qui travaille les sons pour « bambi », de « off the wall » jusqu'au monumental « HIStory ». Rentrons grâce à lui dans les arcanes des sons « jacksoniens »...
Steve, tu as une relation musicale bien particulière avec Michael Jackson puisque tu travailles avec lui depuis 1979. Comment cela a-t-il commencé ?
Au départ, j'ai été engagé comme programmeur pour trois morceaux de David Foster, sur « off the wall ». C'est également grâce à lui que j'ai participé à d'autres productions de Quincy Jones; comme Donna Summer, les Brothers Johnson et les albums solo de Quincy. Une entente cordiale entre Michael, Quincy et moi était née. Plus tard, après s'être tellement éclatés sur « Thriller », Michael m'a demandé de produire deux morceaux sur « victory » des Jacksons.
Y a-t-il une grosse différence entre les disques produits par Quincy et ce nouvel album de Michael ?
Oui. Lorsque Michael travaille pour lui, il essaye toute ce qui est possible; il est très ouvert. Quincy, lui, sait exactement ce qu'il veut: par exemple, pour un son d'une certaine couleur, il va jusqu'à le décrire littéralement. Quand tu travailles avec Quincy, tu as une liste de choses à faire et tu les fais. Tandis qu'avec Michael, il arrive que lorsque tu es en train de plancher sur un morceau, d'un seul coup, il t'arrête et commence à en écrire un nouveau. Je n'ai pas encore l'album, donc je ne sais pas quels sont les titres qui y figurent, mais c'est arrivé plusieurs fois.
Tu figures sur « Stranger in Moscow », « Earth song » ( l'interview avec Steve a eu lieu le 18 juinavec une sortie US de l'album prévue pour le 20, je lui lis donc les morceaux où il figure, NDLR ) « Earth song »? J'ai fais les séances de ce morceau pour le précédent album ! Qu'est-ce qu'il y a d'autre ?
« you're not alone » ...
C'est un morceau sur lequel j'ai travaillé récemment, écrit par un certain R. Kelly qui a envoyé une démo. Michael a voulu que le morceau prenne de l'ampleur, donc j'ai ajouté une transposition à la fin, sur une idée à lui d'ailleurs, et j'ai dû recréer les parties.
Sur « Little Susie », peux tu nous décrire le processus de jeu et de la programmation ?
C'est un morceau sur lequel je joue toutes les cordes. Au départ, il avait été enregistré et finalisé avec un grand orchestre, mais au dernier moment, Michael a décidé de modifier le tempo et la tonalité. Il m'a donc demandé de reprendre la partition d'orchestre, écrite je crois par Johnny Mandel, et de la rentrer en séquence, comme si on en faisait une démo. De cette façon, il pouvait décider avec plus de facilités des modifications à apporter. En définitive, ma version lui a tellement plu qu'il a décidé de la garder : c'est celle qui figure sur l'album.
C'est pourquoi tu es crédité en « orchestral realization »?
Exactement. Mais j'ai été aidé tout au long du projet par un type fantastique du nom de Andrew Scheps, un spécialiste Synclavier. Il m'a filé un gros coup de main pour ces cordes qui sont un mélange de Synclavier et de Kurzwell. J'ai joué chaque ligne en temps réel puis par la suite j'ai ajouté les dynamiques individuellement; nous avons passé une bonne partie de la nuit dessus.
Parles-nous de ton travail rythmique sur « Stranger un Moscow » ?
Les sons de BAR sont ce qu'ils sont essentiellement grâce à Bruce Swedien. J'ai simplement rajouté une boucle de batterie qui vient d'un CD à sampler qu'on m'a ramené d'Europe. Ce morceau étant très lent, j'ai dû utiliser le logiciel Time Bandit, qui permet de ralentir une boucle sans changer la hauteur de la note &endash; sur le Mac, ca marche sur n'importe quel fichier audio - ; puis j'ai passé cela dans Sound Designer, deux fois, car la boucle au départ étant tellement rapide et le morceau tellement lent, que je ne pouvais m'y prendre autrement. Je crois que c'est mon nouveau morceau préféré. Michael a bossé très dur sur les paroles.
Combien de temps as-tu passé sur ce nouvel album ?
Je suis resté deux mois à New York et trois semaines à Los Angeles, à raison de neuf heures par jour. Certains programmeurs passaient des nuits entières, mais c'était pas mon cas, je dois me faire trop vieux !
Quels synthés as-tu utilisés sur ce disque ?
Grâce à Andrew Sheps, j'ai eu accès à beaucoup de sons du Synclavier ; mais je ne programme malheureusement pas dessus: je dis seulement précisément ce que je veux. Je me suis également servi des Roland JV-1080 et S-770, mais mes principaux instruments sont des Yamaha : le SY-99, la ProMix 01 avec ses faders automatisés et ses effets incorporés, le nouveau piano numerique PF-P500... j'ai utilisé le Korg WS, en particulier sur « Stranger in Moscow » où j'ai fait ma propre séquence d'ondes qui est mixée loin derrière. Sans oublier de vieux synthés analogiques comme l'Oberheim Matrix 12 et le Minimoog.
Est-ce que tu as préparé les sons seul ou avec Michael ?
La plupart du temps de mon côté. Mais les deux formules ont été utilisées. A New York, nous travaillons parfois dans quatre studios differents : le staff avait installé un système complet de synthés dans trois d'entre eux, et dans le quatrième, un éventail de claviers acoustiques: piano, clavecin, CP-80. De ce fait, en l'espace d'une journée, il m'arrivais de passer de l'un à l'autre, avec mes différents ingénieurs travaillant sur des morceaux ou des parties de morceaux qui me demandaient: « On a besoin d'un patch de cordes ici », puis « il faut une partie de séquenceur à cet endroit. » C'était dément, mais génial en même temps. Michael était dans un autre endroit en train de « tracker » ses vocaux ou de composer autre chose. De temps en temps, il passait me voir, mais en aucun cas il regardait par-dessus mon épaule pour surveiller ce que je faisais. J'adore ca !
Est-ce que tu penses que ça fait partie de tes meilleures séances ?
Oui, sans hésitation, tout ce que j'ai fait avec lui. En seconde position, je placerais celles que j'ai faites avec Don Henley sur « Dirty laundry » et « Boys of summer ».
Je sais que ça fait pas mal de temps, mais peux-tu nous parler de la création de « Human nature » que tu as écrit pour l'album « Thriller » ?
J'en avais fait une démo avec David Paich. Pour le son de Fender Rhodes, j'avais utilisé un Yamaha GS-1, le premier synthé numérique de Yamaha ; pour le reste, je me servais du séquenceur Roland Micro Composer, une machine très peu maniable. C'était avant la révolution MIDI. En fin de comptes, une grande partie de la démo a fini sur la version finale, dont la ligne de basse jouée au Jupiter-8. Ensuite, j'ai rejoué les claviers live. Côté rythmique, j'avais programmé une simple ligne de batterie sur une Linn Drum, par-dessus laquelle mon frère Jeff a rejoué. Mais c'est David qui a eu cette idée de séquenceur si magistrale au début et tout au long du morceau.
J'ai lu que tu avais écrit ce titre avec Miles Davis ! Que penses-tu de sa version ?
Je n'ai jamais écrit « Human nature » avec, ni pour Miles, mais j'adore la version qu'il en a faite. Quel honneur pour moi ! J'en ai même des vidéos !
D'où vient ce surnom « Yada » dont Michael t'affubule ?
Il y a longtemps, Michael et moi avons écrit un morceau intitulé « Chicago 1945 » - moi la musique et lui le texte &endash; qu'il a enregistré deux fois, mais qui n'a jamais figuré sur aucun album. Les instruments étaient joués selon un rythme constant en doubles croches, ces dernières étant appelées « yada ». Quand je lui ai expliqué ce truc, ça l'a tellement « éclaté » qu'il me surnomme ainsi depuis. Au point que lorsqu'il me fait écouter une maquette sur laquelle je vais travailler, il me dit « je veux ajouter des yada là-dessus. » Quoique je fasse, que ce soit des cordes ou autre chose, il appelle ça des « yada ». Depuis la signification a évolué.
note: double croche : représente la durée d'1/4 de temps, ou la durée d'1/2 croche, cette derniere représentant 1/2 temps, et la noire représentant 1 temps
J'ai remarqué que tu avais quitté Toto peu de temps après les séances de « Thriller ». Est-ce à cause du succès de cet album ?
Non, pas du tout, ça n'a rien à voir. Comme tu l'auras remarqué, le groupe prenait une direction plus rock'n'roll qui ne me convenait pas ; je ne savais plus trop où me situer.
Quelles sont tes perspectives musicales actuelles ?
Avec mon frère Miken nous travaillons sur un projet des frères Porcaro ; il y aura même des morceaux où Jeff a participé. C'est vraiment cela qui me tient à coeur en ce moment. J'espère que cela sortira d'ici un an environ. En attendant, éclatez-vous sur l'album de Michael, c'est très grand ...